Décès de Coryn F. Hague.

Nous avons la grande tristesse d'annoncer le décès de Coryn F. Hague, Directeur de Recherches au CNRS et ancien sous-directeur du LCPMR.

 

Coryn F. Hague
(1938–2020)

Après avoir survécu à un torpillage en Méditerranée, heureusement mal planifié par la Regia Marina et la Kriegsmarine, Coryn réussit à rejoindre le Royaume Uni. Là, un psychologue scolaire lui prédit que ses capacités intellectuelles lui permettraient au mieux de pouvoir tenir une épicerie. Toutefois, avec une détermination digne de celle du Vieux Lion , il s’engage dans des études d’un niveau plus élevé. Ainsi, après avoir présenté en 1962 un mémoire au Département de Physique du Sir John Cass College (Londres), il obtient une bourse d’étude à l’étranger et retraverse le Channel  pour mener des travaux de recherche au Laboratoire de Chimie Physique de la Faculté des Sciences de l’Université de Paris. Ce laboratoire est alors engagé dans une collaboration avec l’Istituto di Sanità de Rome pour tirer parti du rayonnement X continu émis par l’accélérateur d’électrons de Frascati. C’est ainsi que Coryn participe aux premières expériences mondiales démontrant l’intérêt du rayonnement synchrotron pour l’étude de la matière grâce aux spectroscopies du domaine X-UV et est recruté par le Centre National de la Recherche Scientifique, où il ménera tous ses travaux.

Lors de sa thèse de Doctorat d’Etat ès Sciences Physiques (1973), il développe un spectromètre X de type Johann [1] permettant, grâce à un tube à rayons X de très haute puissance [2], d’étudier la structure électronique de composés de métaux de transition 3d à partir de leurs spectres d’émission L2,3 excités par fluorescence. Son travail apporte des données d’une qualité, sans équivalent à l’époque, permettant des avancées décisives dans la compréhension des propriétés des systèmes 3d.

Cela le conduit à proposer d’analyser les changements subis par la structure électronique lors des transitions de phase. Soutenu par la Délégation Générale à la Recherche Scientifique et Technique, ce projet le mène à réaliser un spectromètre pour rayons X mous adapté [3], non seulement à l’étude de la phase solide, mais aussi à celle des métaux liquides [45] et même des vapeurs métalliques [6], un bombardement électronique étant utilisé à la fois pour porter les échantillons au-delà de la température de fusion et pour exciter la fluorescence.

Ces réalisations illustrent ses qualités de concepteur et d’expérimentateur, qualités qui se manifesteront tout au long de sa carrière et qui conduiront à des développements instrumentaux majeurs et à des résultats scientifiques de premier plan, et cela au niveau international.

Entre autres avancées, on peut citer celles sur la structure électronique des alliages de substitution. Grâce à la haute résolution spectrale de l’instrument destiné à l’étude des métaux liquides et en mettant à profit la sélectivité chimique de la spectroscopie X, Coryn établit expérimentalement que l’ approximation du potentiel cohérent  dans le cadre de l’approche de Korringa–Kohn–Rostoker est un outil incontournable pour l’étude des systèmes désordonnés [78]. Cette approche est devenue depuis un outil standard pour la prédiction des propriétés de ces systèmes. Les travaux de Coryn sur les composés intercalaires du graphite ou sur les matériaux métalliques amorphes [910] s’inscrivent dans la même lignée.

L’originalité intellectuelle de Coryn se manifestait non seulement dans des innovations techniques qui ouvraient des champs de recherche inexplorés, mais aussi dans l’attention qu’il portait aux évolutions scientifiques, sans jamais être influencé par des effets de mode. Il avait un don exceptionnel pour susciter des recherches qui s’avéraient ensuite d’importance pour leur intérêt technologique ou pour leur impact fondamental [11121314]. Ses collaborateurs français et étrangers, ainsi que les nombreux étudiants dont il a dirigé la thèse, en sont les témoins.

Ces aspects, son opiniâtreté sans faille, et ses talents pour valoriser les qualités qu’il savait détecter dans ceux qui ont eu la chance de l’approcher, ont fait de lui une personnalité de référence au sein du laboratoire. Bien que profondément passionné par ses activités de chercheur, il a accepté de participer pendant 12 ans à la direction du laboratoire. Sa vision de la science, son sens de l’anticipation, ses qualités scientifiques et humaines ont eu un impact profond sur la vie de notre communauté.

Pendant cette période, il a sans relâche poussé le développement des innovations en spectroscopie de haute énergie pour l’étude de l’état solide, en particulier en menant conjointement des expériences à la maison  et auprès d’accélérateurs d’électrons délivrant du rayonnement synchrotron [Super-ACO (Orsay), DESY (Hambourg), MAX-lab (Lund), ESRF (Grenoble), ALS (Berkeley), BESSY (Berlin), Elettra (Trieste)].

Cette période de sa carrière a été très intense car il devait, en parallèle, assurer ses charges administratives et mener ses travaux de recherche autour des spectroscopies résonantes dont il avait anticipé les potentialités. Ces recherches nécessitaient de créer et de mettre au point des spectromètres dédiés à chaque type d’expérience et adaptés aux spécificités de chaque source de lumière. C’est ainsi qu’il a construit de nombreux spectromètres permettant de travailler dans le domaine de l’ultra-violet sous vide, dans celui des rayons X mous et dans celui des rayons X de moyenne énergie, instruments qui étaient transportés sur site, montés et réglés sur les lignes de lumière, puis exploités pour des sessions de travail continu pendant plusieurs semaines [1516].

Parmi les résultats originaux majeurs obtenus par Coryn, figurent la découverte du dichroïsme en fluorescence X [17], l’analyse des propriétés magnétiques des multicouches métalliques par réflectivité X [18], les premières expériences de diffusion inélastique résonante dans le domaine des rayons X mous [19], l’élucidation, après des débats depuis les années 60, des changements de valence accompagnant la transition de phase γα du cérium [2021].

Pour mener à bien des expériences de diffusion inélastique résonante dans le domaine 50–1000 eV avec une très haute résolution, Coryn a imaginé un spectromètre utilisant un schéma optique complètement original [22]. Cela a conduit au développement, à l’installation et à la mise au point d’un poste de travail dédié à ce type de mesures sur le synchrotron SOLEIL, et à sa mise à disposition de la communauté internationale [2324].

Ceux qui ont eu le privilège d’interférer avec lui, quelle que soit leur culture scientifique ou leur sensibilité, peuvent témoigner que Coryn a été pour eux une source d’inspiration et un réservoir de force.
Quel plaisir c’était de pouvoir travailler avec lui !
Il nous manque terriblement.

J.-M. M. et G. S. C.

Références

 

[1]   C. F. Hague, A simple bent crystal X-ray scanning spectrometer, J. Phys. E : Sci. Instrum. 44, 117 (1971).

[2]   C. F. Hague, A demountable high-power soft X-ray tube and its performance in the 13–27 Å region, J. Phys. E : Sci. Instrum. 10, 533 (1977).

[3]   C. F. Hague and D. Laporte, Spectrometer for soft x-ray emission studies of liquid metals and metallic vapors, Rev. Sci. Instrum. 51, 621 (1980).

[4]   C. F. Hague, C. Sénémaud, and H. Ostrowiecki, Experimental density of states of liquid silicon, J. Phys. F : Met. Phys. 10, L267 (1980).

[5]   C. F. Hague, 3p electron density of states in liquid aluminum, Phys. Rev. B 25, 3529 (1982).

[6]   C. F. Hague, J.-M. Mariot, and H. Ostrowiecki, The 1 and 1,2 x-ray emission lines from free zinc atoms and zinc metal, Phys. Lett. A 67, 121 (1978).

[7]   P. J. Durham, B. L. Gyorffy, W. M. Temmerman, D. Ghaleb, C. F. Hague, J.-M. Mariot, and G. M. Stocks, Soft X-ray emission and the local densities of states in Cu–Ni alloys, J. Phys. F : Met. Phys. 9, 1719 (1979).

[8]   P. J. Durham, C. F. Hague, J.-M. Mariot, and W. M. Temmerman, Experimental and theoretical soft x-ray emission spectra of Cu–Pd substitutional alloys, J. Phys. Colloques 48-C9, 1059 (1987).

[9]   S. R. Nagel, U. M. Gubler, C. F. Hague, J. Krieg, R. Lapka, P. Oelhafen, H.-J. Güntherodt, J. Evers, A. Weiss, V. L. Moruzzi, and A. R. Williams, Electronic structure studies of CaxAl1-x metallic glasses, Phys. Rev. Lett. 49, 575 (1982).

[10]   C. F. Hague, R. H. Fairlie, W. M. Temmerman, B. L. Gyorffy, P. Oelhafen, and H.-J. Güntherodt, The local densities of states in glassy Pd30Zr70 (X-ray emission spectra), J. Phys. F : Met. Phys. 11, L95 (1981).

[11]   H. Roulet, J.-M. Mariot, G. Dufour, and C. F. Hague, Size dependence of the valence bands in gold clusters, J. Phys. F : Met. Phys. 10, 1025 (1980).

[12]    E. Beauprez, C. F. Hague, J.-M. Mariot, F. Teyssandier, J. Redinger, P. Marksteiner, and P. Weinberger, X-ray-emission-spectroscopy study of vacancy-induced electronic states in substoichiometric TiNx, Phys. Rev. B 34, 886 (1986).

[13]   T. Le Mercier, J.-M. Mariot, P. Parent, M.-F. Fontaine, C. F. Hague, and M. Quarton, Formation of Ti3+ ions at the surface of laser-irradiated rutile, Appl. Surf. Sci. 86, 382 (1995).

[14]   V. Barnole, J.-M. Mariot, C. F. Hague, C. Michel, and B. Raveau, Soft-x-ray emission spectroscopy study of La2CuO4 and three high-Tc superconductors, Phys. Rev. B 41,4262 (1990).

[15]   M. Sacchi, C. Spezzani, P. Torelli, A. Avila, R. Delaunay, and C. F. Hague, Ultrahigh-vacuum soft x-ray reflectometer, Rev. Sci. Instrum. 74, 2791 (2003).

[16]   C. F. Hague, J. H. Underwood, A. Avila, R. Delaunay, H. Ringuenet, M. Marsi, and M. Sacchi, Plane-grating flat-field soft x-ray spectrometer, Rev. Sci. Instrum. 76, 023110 (2005).

[17]   C. F. Hague, J.-M. Mariot, P. Strange, P. J. Durham, and B. L. Gyorffy, Observation of magnetic circular dichroism in Fe L2,3 x-ray-fluorescence spectra, Phys. Rev. B 48, 3560 (1993).

[18]   M. Sacchi, C. F. Hague, L.  Pasquali, A. Mirone, J.-M. Mariot, P. Isberg, E. M. Gullikson, and J. H. Underwood, Optical constants of ferromagnetic iron via 2p resonant magnetic scattering, Phys. Rev. Lett. 81, 1521 (1998).

[19]   J.-J. Gallet, J.-M. Mariot, C. F. Hague, F. Sirotti, M. Nakazawa, H. Ogasawara, and A. Kotani, 4d resonant inelastic x-ray scattering in gadolinium, Phys. Rev. B 54, R14238 (1996).

[20]   J.-P. Rueff, C. F. Hague, J.-M. Mariot, L. Journel, R. Delaunay, J.-P. Kappler, G. Schmerber, A. Derory, N. Jaouen, and G. Krill, f State occupancy at the γα phase transition of Ce–Th and CeSc alloys, Phys. Rev. Lett. 93, 067402 (2004).

[21]   J.-P. Rueff, J.-P. Itié, M. Taguchi, C. F. Hague, J.-M. Mariot, R. Delaunay, J.-P. Kappler, and N. Jaouen, Probing the γα transition in bulk Ce under pressure : A direct investigation by resonant inelastic x-ray scattering, Phys. Rev. Lett. 96, 237403 (2006).

[22]   S. G. Chiuzbăian and C. F. Hague, High acceptance high resolution soft X-ray grating spectrometer : Choice of optical design, J. Electron. Spectrosc. Relat. Phenom. 188, 121 (2013).

[23]   M. Sacchi, N. Jaouen, H. Popescu, R. Gaudemer, J.-M. Tonnerre, S. G. Chiuzbǎian, C. F. Hague, A. Delmotte, J.-M. Dubuisson, G. Cauchon, B. Lagarde, and F. Polack, The SEXTANTS beamline at SOLEIL : a new facility for elastic, inelastic and coherent scattering of soft X-rays, J. Phys. Conf. Ser. 425, 072018 (2013).

[24]    S. G. Chiuzbăian, C. F. Hague, A. Avila, R. Delaunay, N. Jaouen, M. Sacchi, F. Polack, M. Thomasset, B. Lagarde, A. Nicolaou, S. Brignolo, C. Baumier, J. Lüning, and J.-M. Mariot, Design and performance of AERHA, a high acceptance high resolution soft x-ray spectrometer, Rev. Sci. Instrum. 85, 043108 (2014).